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Lorsque j'ai démarré cette histoire, je n'avais pas prévu de raconter l'histoire de la Mâ.

J'étais bien, je me sentais en accord avec la nature, je voulais que mon roman se passe à la campagne. Le personnage de la Mâ s'est imposé ! Je me suis retrouvée à la campagne, oui, mais dans la maison d'une guérisseuse, un peu, beaucoup, sorcière. J'avais l'impression de la découvrir au fur et à mesure que je l'inventais, elle me captivait, son univers m'envoûtait ! 

J'ai adoré écrire ce roman à la manière d'un conte.

Plusieurs lecteurs m'ont demandé d'écrire une suite à L'enfant de la pleine lune. Qui sait ? Peut-être qu'un de ces jours, la Mâ viendra m'inspirer à nouveau !

Vous entrez dans l’univers de la Mâ, une vieille guérisseuse, un peu sorcière aux dires des habitants de son village...

Un soir, la Mâ recueille une adolescente complètement désemparée. Elle utilise tous les moyens en sa possession pour faire de l’enfant qu’elle porte l’héritière de son don...

Extrait pages 12 à 16

A plusieurs reprises le tonnerre la réveilla, mais elle ne put se décider à quitter son fauteuil. Elle regardait, impassible, les flammes vives et colorées, qui dansant et léchant les bûches, les faisaient se tordre et craquer pour mieux dévorer le cœur du bois. Il lui sembla que cette nuit qui commençait n'était pas ordinaire. Elle n'aurait pas su dire pourquoi, mais elle décida d'attendre encore avant d'aller se coucher.

Attendre quoi ? Elle vivait seule depuis la mort de son mari, c'est-à-dire depuis dix ans. Elle n'avait pas d'enfant, plus de famille avec laquelle elle eût gardé quelque lien. Son chien et son chat étaient ses uniques compagnons, avec sa chouette bien sûr, celle-ci vivant comme elle, à contre temps.

Sa maison, située à la limite du village et à l'orée des bois, bénéficiait d'un joli jardin et d'une cour, où elle pouvait à loisir élever poules et lapins. Elle vivait ici à son rythme, celui de la campagne, réglé sur les heures de lever et de coucher du soleil et sur les phases de la lune. La ville la plus proche étant à une soixantaine de kilomètres, les villages avoisinant le sien vivaient en autarcie et subsistaient en s'entraidant.

Elle ne s'ennuyait jamais, passant une partie de son temps à cueillir les simples, à les trier et à les préparer pour les gens qui venaient la voir, quand ils avaient besoin d'elle, de son don plus exactement.

Car elle possédait le don. Soulageant de ses mains les douleurs qu'elle savait repérer au premier coup d'œil, elle pouvait également voir celles à venir, à la couleur qui entoure les gens, disait-elle et elle faisait en sorte qu'elles n'apparaissent jamais. Au moyen de baumes, de macérations, de tisanes préparés par ses soins, auxquels elle adjoignait des incantations qu'elle marmonnait à voix basse pour les rendre inaudibles et des gestes dont elle seule connaissait la signification, elle chassait la souffrance, calmant et soignant les maux les plus divers.

Chacun au village la connaissait, la surnommant la Mâ. Mot sans doute tiré du patois local qui signifiait la Mère, celle qui sait, qui domine, qui protège, mais qui parfois aussi, peut se fâcher, punir même, si besoin était. Tous la respectaient, la craignant comme on peut craindre ce qu'on ne connaît pas, ce qu'on ne comprend pas.

Et elle, personne ne pouvait la comprendre, car elle ne se livrait pas. Ils parlaient d'elle à mi-mots, en sous-entendus ; elle les effrayait tout en les fascinant. Chacun prenait soin de s'attirer ses bonnes grâces par des présents ou en lui rendant de petits services, afin de ne pas subir les conséquences d'un éventuel courroux.

Ne disait-on pas qu'elle avait le pouvoir de pénétrer les esprits, de jeter des sorts, d'envoûter ?

N'avait-elle pas été vue frayant avec les vipères qu'elle attrapait à pleines mains, allant même jusqu'à leur parler ?

Les oiseaux de nuit n'étaient-ils pas ses amis ?

Chacun avait pu voir la chouette qu'elle hébergeait dans sa cuisine. Certains, même, affirmaient qu'à la nuit tombante des dizaines de rapaces et de chauves-souris géantes se postaient tout autour de sa maison.

Oui mais, n'avait-elle pas, jusqu'ici, utilisé son pouvoir que pour venir en aide à ses semblables ? Chassant le mauvais sort, désenvoûtant, guérissant, conseillant, réconfortant tout simplement !

Combien d'histoires plus extraordinaires les unes que les autres ne racontait-on pas à son sujet ?

Certains matins, on pouvait la voir, sur le coup des huit heures, un panier sous le bras débordant de feuillages et de plantes cueillis à la lueur de la lune juste avant le lever du soleil. Elle revenait de son petit pas tranquille, vêtue dès les premiers froids de son éternel manteau marron, de ses bottines de pluie, la tête emmitouflée dans un châle chamarré. L'été, il fallait se lever très tôt pour avoir une chance de l'apercevoir. Quelquefois, les soirs de pleine lune, elle sortait de chez elle et ne rentrait qu'au petit matin.

Forcément, elle intriguait à rôder la nuit dans la forêt, par tous les temps. Que faisait-elle ? Certains gamins avaient bien essayé de la suivre, mais elle les semait. Connaissant les bois mieux qu'eux, elle arrivait aisément à les perdre, histoire de leur donner une leçon ! Les parents, le lendemain, partaient à la recherche de leur progéniture, qui, dépitée, extrapolait autour du moindre détail insolite, épaississant encore l'aura de mystère qui l'entourait.

Une ou deux fois dans l'année elle disparaissait en emmenant le Rouquin, pour une semaine ou plus ; il arriva qu'elle s'absente un mois.

Personne ne savait où elle se rendait ; elle partait sans être vue et revenait de même. Simplement, les gens qui la connaissaient bien, en voyant sa maison entièrement fermée, prenaient en charge son chat, ses poules et ses lapins. Jamais personne ne l'interrogeait à son retour. Et là encore, les bruits les plus divers couraient. On disait qu'elle se rendait dans la montagne, à la grotte des maléfices.

Soi-disant que la Mâ y serait née, sa mère, sa grand-mère et ses aïeules également. Seules les femmes de sa lignée pouvaient atteindre et pénétrer cette grotte. La Mâ s'y rendait régulièrement en pèlerinage suivant la tradition de ses ancêtres.

Mais il se disait tant de choses sur elle. Cette grotte existait-elle vraiment ? Etait-elle une légende dans laquelle la Mâ solitaire avait glissé son existence jusqu'à la rendre réelle ?

En tous cas beaucoup avaient battu la montagne à sa recherche, mais personne ne l'avait jamais trouvée, tout au plus devinait-on son emplacement.

Passant et repassant ses doigts noueux dans les longs poils noirs du Matou, elle sentit sa présence.

Comme chaque soir, elle le perçut. Un craquement dans le vaisselier annonça son arrivée, suivi d'un courant d'air froid qui la fit frissonner. Ensuite elle devina qu'il faisait le tour de la maison, comme du temps de son vivant, pour vérifier que les fenêtres et la porte étaient bien fermées. Enfin, elle sentit son baiser effleurer sa joue et, comme chaque soir, elle en éprouva une vive émotion, puis il s'installa dans le fauteuil face à elle et alluma sa pipe. Lentement, alors, ses traits lui apparurent et elle commença à lui raconter sa journée, dialoguant avec lui. Il répondait par télépathie à ses questions.

Au bout d'une demi-heure, quelquefois plus, il se levait, se penchait sur son front, hérissant ses cheveux clairsemés, puis se dirigeait vers la chambre ; ses traits s'estompant, il disparaissait tout à fait en passant la porte. Une odeur mielleuse persistait quelques minutes, prolongeant sa courte présence. Il en était ainsi depuis dix ans. La mort n'avait pu les séparer et en attendant qu'elle le rejoigne, il ne la quittait pas, continuant de veiller sur elle comme il l'avait toujours fait.

Comme chaque soir, elle le regarda partir, mélancolique. Après son départ, elle pensa qu'un jour, son travail sur terre étant accompli, elle partirait avec lui et ce serait bien ainsi.

Elle avait toujours travaillé, toujours aidé, secouru, soulagé, soigné ses semblables. Qu'attendait-on encore d'elle pour la retenir sur terre ? Quelle mission allait-on encore lui confier ?

Tout en réfléchissant, elle écoutait l'orage qui ne faiblissait pas.

Qu'est-ce qui la poussa à se lever et à se diriger vers la fenêtre ? Elle ne se posa pas la question. Elle entrouvrit les persiennes. L'air frais la saisit ; le visage inondé et balayé par le vent violent, elle plissa les yeux pour mieux distinguer la silhouette qui s'avançait à l'horizon dans sa direction, en luttant avec difficulté. Il lui sembla qu'elle se courbait protégeant quelque fardeau qu'elle enserrait de ses bras.

Refermant rapidement les persiennes, elle lissa de ses mains ses cheveux dégoulinants, essuya son visage avec un pan de sa robe de chambre tout en se rendant d'un pas pressé vers la cheminée où elle rajouta deux grosses bûches.

- On va avoir de la visite, mes agneaux !

Tout en conversant avec ses compagnons qui, habitués à l'entendre monologuer, ne levèrent pas les yeux, elle se précipita vers la cuisinière où elle mit la bouilloire à chauffer. Puis elle sortit des serviettes éponges, les belles toutes neuves qu'elle gardait intactes pour une occasion. Ce soir, l'occasion se rapprochait à grands pas de sa porte qu'elle déverrouilla et ouvrit toute grande quand elle sentit que c'était l'instant.

Une toute jeune fille, couverte d'une cape en ciré ruisselante, se tenait devant elle. La tête encapuchonnée rentrée dans les épaules, elle grelottait, tremblant de tous ses membres, tout en restant immobile sur le seuil. Elle dut la saisir par le bras et la tirer à l'intérieur.

- Eh bien, entre ! Tu es gelée.

Sans hésiter, sans questionner, elle la poussa devant la cheminée ronflante et commença à la déshabiller en silence. Elle ne rencontra aucune résistance ; la jeune fille bientôt nue se laissa sécher et frictionner. Le fardeau qu'elle semblait protéger en luttant dans la tempête apparut sous la rondeur de son ventre tendu. La Mâ n'en fit pas cas, elle tira la couverture qui recouvrait son fauteuil, délogeant le chat mécontent qui miaula en atterrissant sur le carrelage avant de se lécher consciencieusement. Rapidement, elle l'enveloppa et l'installa près du feu, puis courut à la bouilloire qui sifflait pour qu'on ne l'oublie pas.

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